Le Violoniste et le chateau hanté
ll était une fois, dans un
pays où les hivers sont beaux comme dans les contes de fées,
un enfant musicien. Il avait de toutes petites mains, mais il
jouait si bien que tous les
princes et les seigneurs de la ville l'invitaient dans leurs
salons pour l'entendre jouer du violon.
Quand il jouait, les oiseaux s'arrêtaient de chanter, la neige
de tomber, les enfants
de se disputer, les grincheux de ronchonner. Et, quand il
achevait son morceau, tous
ceux qui l'avaient écouté étaient joyeux comme si plus rien d'ennuyeux
ne pouvait
exister au monde. Dans cette même ville, vivait un riche
seigneur qui habitait un
palais hanté par des créatures étranges : des fantômes qui,
chaque nuit, venaient
danser dans son salon, et faisaient tant de bruit que le pauvre
homme ne pouvait plus
dormir, et que tous ses amis, effrayés, ne venaient plus lui
rendre visite.
Il se sentait donc seul et abandonné dans son beau palais hanté.
Un jour, il entendit parler de l'enfant musicien qui effaçait
les ennuis sur son chemin
et il lui écrivit une lettre en forme de poème :
"S'il te plaît, petit garçon, viens jouer dans ma maison,
pour chasser les cent démons
qui dansent dans mon salon".
Après avoir lu cette lettre, l'enfant saisit son violon et,
malgré le froid et la neige
qui régnaient à ce moment là sur la ville, se mit à chercher
cet étrange palais hanté.
Il marcha toute la journée, dans toutes les ruelles. Il se
trompa bien des fois de
porte. On lui indiqua bien souvent le mauvais chemin. Mais il
finit tout de même par
arriver chez le seigneur à la tombée de la nuit.
Le seigneur l'installa dans une chambre confortable où flambait
un grand feu, et lui dit :
- Je te remercie d'être venu ! A présent, repose-toi un peu...
Mais tu verras : les fantômes font un tel charivari que je
serais bien surpris
si tu arrivais à fermer l'il de la nuit.
Le petit garçon se coucha et, comme il était très fatigué de
sa longue marche,
il s'endormit profondément.
Au milieu de la nuit, un épouvantable bruit le réveilla.
Le seigneur n'avait pas menti : c'était un vrai charivari !
Alors l'enfant se leva, pris son violon et descendit au salon...
Quand il fut en bas, il ne put en croire ses yeux : des dizaines
de fantômes dansaient,
couraient, faisaient des sauts et des cabrioles sur les tapis et
sur les meubles.
Mais ils piétinaient sans musique en chantant de leur voix grinçante.
Tout cela donnait un bal étrange, plein de cris, de ricanements,
de gloussements, de craquements...
Le petit garçon eut alors une idée. Pour obtenir le silence,
il frappa de son archet le manche de son violon et cria :
- qu'est-ce qu'un bal sans musique ? Qu'est ce que c'est que
cette chanson sans violon ?
Si vous voulez vous amuser, vous feriez mieux de m'écouter...
Tous les fantômes se regardèrent d'un air étonné. Puis ils se
mirent à parler tout
ensemble pour savoir ce qu'ils devaient décider.
Ils tinrent conseil un long moment et, à la fin, ils déclarèrent
:
- montre-nous ce que tu sais faire !
L'enfant musicien installa son violon sous son menton, et se mit
à jouer une danse
entraînante. Mais les fantômes refusèrent de bouger. Ils
dirent en traînant les pieds :
- pour danser cette danse effrénée, il nous faudrait reprendre
des forces, et nous n'avons rien à manger
Aussitôt, le petit garçon alla frapper à la porte de la
chambre du seigneur.
Celui-ci apparut en baillant : encore ce charivari ?
Mais le petit garçon expliqua : il faudrait donner à manger à
ces drôles d'invités
Le seigneur se fit un peu prier, car il n'avait plus de
serviteurs, ni de cuisiniers.
Ils s'étaient tous enfuis, l'un après l'autre, nuit après nuit...
Malgré tout, il obéit. Il fit
cuire de grands rôtis, des légumes, des pâtes et du riz. Il
fit même de grands gâteaux
aux noix et aux pruneaux. Enfin, il servit tout cela aux fantômes,
avec toutes sortes de bons sirops.
Quand ceux-ci se furent bien régalés, le petit garçon recommença
à jouer.
Mais ils avaient trop mangé, et se sentaient trop lourds pour
danser.
- joue-nous donc une berceuse, dit l'un d'entre eux.
L'enfant joua alors un air très doux, et les fantômes s'endormirent.
Le seigneur n'était pas content. Il s'écria
- ils vont s'installer chez moi encore plus confortablement qu'autrefois
!
D'un geste, le petit garçon lui fit signe de se taire. Il laissa
les petits monstres
ronfler encore un moment, puis il reprit son violon, et joua à
nouveau un air très entraînant.
Les fantômes se réveillèrent
en sursaut. Irrésistiblement entraînés, ils
formèrent une farandole dans tous les couloirs du palais...
- ouvrez la porte qui donne sur le jardin !
Et le seigneur s'exécuta...
Malgré l'hiver et le froid, il repoussa les portes et les fenêtres
de son palais, tandis
que l'enfant jouait. Alors, la drôle de farandole s'élança
dans le jardin. Dansant et
sursautant dans la neige, les fantômes contournèrent les
bassins. Ils s'amusaient
tellement qu'ils se jetèrent dedans, et se mirent à danser dans
l'eau en criant des "ah" et des "oh".
Quand ils eurent tous plongés, l'enfant s'arrêta de jouer, et
la neige se remit à tomber.
Il fit de plus en plus froid.
L'eau des bassins gela, et tous les fantômes se trouvèrent pris
dans les glaces.
Dans le jardin couvert de neige, au milieu des bassins gelés,
ils étaient devenus
d'étranges statues, prêtes à lancer des jets d'eau vers le
ciel lorsque viendrait le dégel.
Fou de joie, le seigneur prit l'enfant dans ses bras et lui dit :
- tu as délivré mon palais des fantômes qui le hantaient. Je
vais enfin pouvoir
rassurer mes amis ! Ils reviendront me voir ici...Et c'est
exactement ce qui se passa,
dans la joie et le brouhaha. Tout le monde fit un grand festin et
s'amusa jusqu'au lendemain matin.
Quand le soleil se leva, l'enfant musicien, de toutes ses petites
mains, joua un air si
mélodieux que les danseurs s'arrêtèrent pour l'écouter mieux.
Puis, à la fin du morceau, salué par les bravos, il reprit son
chemin.
Les oiseaux se remirent à chanter.
La neige se mit à tomber... Mais il faut croire que le violon du
petit garçon laissa
derrière lui comme un nuage de magie car, longtemps, dans ce
pays,
les enfants oublièrent de se disputer, et les grincheux de
ronchonner,
comme si rien d'ennuyeux ne pouvait plus arriver.
(Claude Clément)