La sorcière au plafond

Lena est dans son lit.
Il est tard mais elle n’arrive pas à dormir.
Quand elle ferme les yeux, ils se rouvrent tout seuls, tout grands. Elle voit le plafond.
Il y a plein de lignes, de craquelures, c’est la peinture qui s’écaille.
A chaque fois qu’une voiture passe dans la rue, toute la chambre s’éclaire en orange, à cause des rideaux, oranges.
Lena les attend, les voitures, elle les guette. En voilà une, au bout de la rue, arrêtée au feu rouge.
Ca y est, elle redémarre, son bruit grandit, grandit, passage des vitesses…
Et hop ! ça y est : son maximum, plus aigu, et flash de la clarté orange. Pas d’autre couleur.
La table, le coffre à jouets, la maison de poupées, tous les objets sont noirs, des ombres comme découpées aux ciseaux…


Mais pour le moment, ce qu’elle fixe, Lena, c’est le plafond, juste au dessus d’elle.
Au passage de la dernière voiture, elle a cru voir quelque chose comme un nez, un bout d’oreille.
Ce qu’il est long, ce feu !
Ah, ça y est, voilà la voiture, attention…
La lumière glisse dans la chambre, grandit, grandit, les lignes, au plafond apparaissent, brisées, incohérentes…
Non, là, juste au dessus d’elle, tout s’organise : le nez, très crochu et l’oreille, déjà reconnus…
Vite, le reste …La bouche, oui, avec les dents… Oh, et l’œil…L’œil te regarde, Lena !
Mais la voiture est déjà passée…Et sa lumière.
Lena scrute le noir : rien, rien, elle ne voit rien, le noir est trop noir !
Pourtant, elle sait que l’œil, là-haut, continue à la fixer, un petit œil perçant, qui brille et se moque,
un œil méchant de… de… Lena ose à peine y penser, mais c’est bien cela, elle le sait, c’est un œil de SORCIERE !


Oui, c’est une sorcière qui se cache depuis tout le temps dans le plafond et observe Lena à chaque instant, quand elle joue, quand elle s’habille, quand elle dit ses secrets àTobby, son nounours, elle est là, toujours là, toujours, elle attend le bon moment, le moment de sortir du plafond et d’attraper Lena ! ! !
Elle va l’emmener, Lena sentira ses ongles crochus s’enfoncer dans ses bras, elle sentira son haleine fétide de dents pourries quand elle ricanera tout près de son visage, elle verra la cruauté de ses yeux noirs qui lui diront : " Toi, ma petite, je vais t’arracher les yeux et les cheveux, je vais te découper en petits morceaux et te cuisiner aux petits oignons, ensuite, je te mangerai…Oh, j’ai faim, je sens que j’ai faim ! "

Lena respire de plus en plus vite, son cœur, elle le sent dans sa poitrine battre si fort ! Il va éclater !…
Les yeux écarquillés, elle fixe le plafond, la sorcière va lui sauter dessus d’un moment à l’autre,
Lena la sent au-dessus d’elle, prête à bondir…
Voilà ses longs bras qui sortent du plafond.
Avec ses ongles sales, elle caresse la joue de Lena qui reste immobile, se retient même de respirer.
La poitrine creuse de l’horrible femme se détache maintenant et se rapproche, son visage poilu…
Lena va mourir de peur.
Happée par la peur.
Par la sorcière qui a envahi toute la chambre à présent.

Pourtant, un fil retient vaguement Lena, un son familier au loin, un bruit de moteur,
celui d’une voiture bleu métallisée avec l’antenne cassée et un petit chien en peluche qui se balance sous le rétroviseur,
la voiture de papa, Lena la reconnaît entre toutes, elle vient de passer le carrefour et ralentit, la lumière va glisser bientôt dans la chambre, Lena va voir la sorcière.
Lena va mourir de peur.

Elle a fermé les yeux, même pas crié, la gorge est trop nouée.
La lumière orange glisse et reste dans la chambre, papa se gare toujours en face de la maison.
RIEN.
Lena n’est pas morte. La sorcière ne bouge pas.

Alors, Lena ouvre les yeux : les lignes là-haut ne dessinent plus rien. Ah, si, le nez !
Où est l’œil ?…Un petit éclat de peinture, c’est l’œil.
Attention ! L’œil tient à peine.
La porte d’entrée claque…
La maison tremble…
L’œil tombe sur le ventre de Lena !
Elle le prend entre les doigts et l’écrase, ça fait une petite poudre, une poussière blanche de peinture.
C’est très précieux, ça, de la poudre d’œil de sorcière,
Lena pourra l’échanger avec Nicolas demain à l’école contre une dent de dragon …
Lena regarde le plafond : sans œil, la sorcière a disparu, juste des lignes brisées, incohérentes…
En bas, dans la cuisine, les parents discutent, toujours la même chose :
" Je t’ai déjà dit cent fois de ne pas claquer la porte, tu vas finir par casser le carreau !
Et tu as oublié d’éteindre tes phares, après tu t’étonnes de ne plus avoir de batterie… "

Lena se retourne vers le mur : " Claque la porte, papa, claque, tu fais sauter les sorcières ! "

(Sabine D'Halluin)

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